L’Opéra Garnier s’ancre dans notre époque
Après le succès de Body and Soul, l’Opéra Garnier continue de s’ancrer dans notre époque en présentant deux compositions aussi fortes qu’inattendues d’Hofesh Shechter qui signe à la fois chorégraphie et musique.
D’emblée, difficile de ne pas être intimidé par l’énergie dégagée par sept danseurs qui s’avancent vers nous, comme un seul homme. Dans 'Uprising', la puissance est annonciatrice de tensions. Les chocs visuels des danses parfois saccadées font échos à la musique que l’on ressent comme des coups dans la poitrine.
Hofesh Shechter, issu de l’école de danse 'brutaliste' Batsheva est allé bien au-delà de ses concepts. Très vite il n'est pas aisé de faire la part entre jeux et vrais combats. Des groupes se défient, se font et se défont. Puis, tout à coup, une forte pluie vient tout apaiser.
Au delà du travail sur la virilité, qu’annonce le programme, ce sont les interactions que recherche Hofesh Shechter et l’étonnante synchronisation des chorégraphies à trois ou quatre figures, montre que les humains peuvent dépasser leurs instincts. Jeux de mains, accolades réconfortantes, provocations et gifles font renaître les envies de violence. La performance de chaque danseur est une prouesse, même si je ne cite que Takeru Coste, extraordinaire dans sa prestation. Nous nous reconnaissons aujourd’hui dans ce message très actuel pourtant conçu dès 2006. Il se termine sur une apothéose où le chaos peut être maîtrisé : une gestuelle hors norme. Danses de rue certes, mais quelles danses…
Le deuxième ballet ‘In your rooms’ est d’une toute autre veine. Le message est axé cette fois, sur l’intériorité de chaque individu pris isolément. La scène s’ouvre sur tous les danseurs, assis cote à cote, torturés, chacun comme fasciné par un écran que lui seul voit. Leurs gestes saccadés témoins d’un malaise intérieur, renforcé par un questionnement en voix off qui s’enraye, et nous interpellent.
Prisons mentales dans lesquelles se trouvent tous les hommes à la fois si proches et pourtant si éloignés les uns des autres. Tous de dos, les danseurs se battent ensuite contre un mur invisible, leur proximité physique démontre l’absurdité de leur désespoir.
La danse et le mouvement apparaissent ensuite comme leur seul moyen de libération
Lorsque tous se lèvent enfin, on discerne parmi les danseurs des corps de femme dans leurs vêtements de rue unisexes.
Hommes et femmes font exactement les mêmes gestes. Ils interagissent plus avec le public qu’entre eux, Synchronisation totale, prouesse des corps, pirouettes décalées mais toujours sans relation entre eux.
Puis comme la pluie dans Uprising, un changement de ton, un calme qui s’installe opèrent la transition. Un ensemble musical au phrasé classique, apparaît au fond, surplombant les danseurs, comme suspendu dans des limbes rédempteurs.
Ceux que l’on a désormais identifiés comme hommes et femmes se rencontrent, se cherchent, se coursent et se perdent. Ils s’entre-déchirent.
Seul un couple semble se trouver, les autres continuent leur errance et leur quête de l’autre. Danse et mouvement tout à la fois créateurs de vie et éléments libérateur.
Car l’énergie est là apportant la vie, l’humain est à nouveau à l’honneur, alternant entre harmonies et dissonances, selon que les couples se retrouvent ou se perdent, comme dans la vie.
Brigitte Adès
Opera Garnier du 14 Mars au 3 Avril 2022
par
Brigitte Ades
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